L’évangile des dix lépreux est un sévère avertissement. On sait que le cœur de la foi chrétienne est dans cette certitude que Dieu est bon. Quelle que soit la situation, la femme adultère, l’aveugle de naissance, les possédés démoniaques, au seuil de la mort comme le bandit crucifié avec Jésus, et même lorsque tout semble terminé, comme avec Lazare mort depuis deux jours, la puissance de vie du Seigneur Jésus s’exerce pour nous relever et nous sauver. Et ces guérisons physiques ne sont en quelque sorte que le signe visible de la guérison intérieure, qui permet à des être coupables, pécheurs, de revenir à Dieu et de se tenir sans crainte devant lui, comme des enfants bien-aimés. Une guérison sans condition, car Jésus se fait près de nous le relai d’un Père très aimant. Et aujourd’hui encore, même si nos maladies et infirmités physiques et psychiques ne disparaissent pas toutes à notre simple prière, nous savons que la guérison des lépreux, dans l’évangile, parle bien de nos lèpres intérieures, qui défigurent en nous l’image des fils et filles de Dieu et rend notre relation avec les autres, et avec Dieu difficile, parfois impossible, comme cette lèpre qui obligeait à se tenir à distance et interdisait d’entrer au Temple. Nous pouvons donc dire, comme les dix lépreux, « Jésus, maître, prends pitié de nous ». C’est ce que nous faisons dans chaque eucharistie : « Kyrie Eleison » Seigneur prends pitié. Et chaque fois nous devons entendre le Christ invitant à avancer en confiance, à retourner vers Notre père et nos frères, certains que nous sommes guéris de nos lèpres.
On peut admirer et prendre comme exemple la confiance absolue des lépreux. D’abord leur foi en Jésus vers qui ils se tournent sans crainte d’être rejeté, foi en sa puissance de guérison, foi en son efficacité avant même de constater leur guérison. Ils n’attendent pas de voir s’ils sont guéris pour se mettre en route. Nous aussi ayons foi en l’action du Seigneur en nous, non de manière statique, mais de telle sorte que cela change l’orientation de nos pas et notre relation aux autres et à Dieu. La foi chrétienne n’est pas une croyance pour demain mais une force pour aujourd’hui. Mais le centre, la pointe de cet évangile n’est pas dans la foi des lépreux. C’est la question de savoir qu’est-ce que la véritable guérison. Ici dix sont guéris inconditionnellement, mais un seul est sauvé : « ta foi t’a sauvé ». Les autres avaient confiance en Jésus comme en un médecin ou un technicien. Il règle le problème, éventuellement on paye la facture, puis on s’en va. Ce n’est pas ce type de relation utilitaire, qui peut nous sauver : le vrai salut est de savoir aimer. Et l’une des expressions naturelles de l’amour, c’est la reconnaissance. On connait des gens généreux, bons, qui sont tristes parce que ceux qu’ils ont soutenus, aidés, « n’ont même pas dit merci » et « trouvent tout normal ». On connaît peut-être la pièce de théâtre « le roi Lear » qui a tout donné à ses filles, qui n’ayant donc plus besoin de leur père, le laissent dans une solitude totale, ou ces gens qu’une multitude d’amis sollicitaient quand ils avaient un poste de responsabilité et se retrouvent seuls quand ils ont un problème ou à leur retraite. Jésus ne vint pas créer une société de gens bien dans leur peau, mais une société de frères et d’amis, capables de générosité et de remerciement.
Nous aussi nous risquons de ne nous tourner vers le Seigneur que pour « régler les problèmes ». On a le droit de prier le Seigneur de nous aider ! Mais n’oublions pas deux choses. D’abord il faut le faire dans la foi, sans attendre pour nous remettre en marche comme les dix lépreux, mais surtout, n’oublions pas la joie de dire merci, sinon nous ne sommes pas totalement guéris, pas vraiment sauvés, parce que nous ne nous comportons pas vraiment en enfants de Dieu. C’est l’action de grâce, le merci, la reconnaissance, la gratitude qui sont au centre de l’attitude chrétienne. C’est le cœur de la messe, qui dans le fond, ne sert qu’à cela : dire merci, rendre grâce. Et cette attitude envers le Seigneur doit bien entendu imprégner aussi nos relations humaines. A force de trouver tout normal, de se centrer sur nous-mêmes, nos droits, nos problèmes, notre bien-être, et de ne voir dans les autres que ce qui peut nous être utile. La gratitude est source de vie. Apprendre à remercier est le début d’une vraie guérison, la porte de la Vie éternelle.
Père Jacques Wersinger